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Préface d'Hélène Sicard-Lenattier

 

Nancéienne, Docteur en histoire, Membre de l'Académie Lorraine des Sciences, auteure de plusieurs ouvrages dont : Les Alsaciens-Lorrains à Nancy : Une ardente histoire, 1870-1914 , 2002 ;   La Grosse Catherine : Vie et destin d'une servante alsacienne à Nancy, 1870-1950 , 2007 ; Théâtre de la passion de Nancy - 100 ans d'enthousiasme et de foi , 2008  ; Emile Gallé , 2017.

 

La guerre de 1870 et ses conséquences causèrent un grave traumatisme dans la France entière particulièrement ressenti dans l'Est. Après le traité de Francfort, le 10 mai 1871, Nancy devenait, à une vingtaine de kilomètres de la nouvelle frontière, la première grande ville de la région et en quelque sorte la figure de proue de la France face à l'Allemagne. Elle vécut en très peu de temps d'importants bouleversements, occupation militaire, difficultés financières, accueil des optants de toutes origines sociales, à intégrer rapidement. Le transfert de la faculté de Médecine et de Pharmacie de Strasbourg, désiré par Nancy et soutenu par le gouvernement, fut entériné le 19 mai 1872 malgré quelques réticences des élites strasbourgeoises, jugeant que Nancy offrait moins d'opportunités que d'autres grandes cités françaises. D'éminents professeurs constituèrent l'ossature de toutes les disciplines médicales tandis que d'autres augmentaient les effectifs des facultés de Sciences, de Lettres et de Droit. Ils amenaient leurs traditions, leurs méthodes et leur expérience, enrichissant profondément la vie intellectuelle de leur ville d'accueil. Nancy a pu s'enorgueillir rapidement de la qualité de leur enseignement et de leurs applications. Pour accompagner l'intense activité médicale dans ses nombreuses et complètes spécialités, de nouveaux locaux furent construits dont l'Hôpital Central à partir de 1877 muni de tous les attributs de la modernité qui l'ont rendu opérationnel jusqu'à nos jours.

Nancy devint une des premières universités françaises ; rappelons que la France ne comptait à cette époque que trois facultés de Médecine et de Pharmacie, Paris, Montpellier et Nancy. Le doyen Stolz en terminant son discours, lors de la première rentrée solennelle après la fin de l'occupation allemande en octobre 1873, résuma l'état d'esprit qui animait l'ensemble de ses collègues : Les Allemands avaient cru qu'en chassant devant eux cette grande faculté de Strasbourg, ils la renverseraient à jamais. Eh bien ! La voilà debout, vivante, active et féconde, toute prête pour de nouvelles conquêtes scientifiques. Le ton était donné et il est de fait qu'une nouvelle ère de progrès et d'épanouissement s'ouvrait à Nancy grâce à l'apport industriel, commercial, intellectuel et social des nouveaux venus.

Hippolyte Bernheim, dévoilé dans ce livre, fut l'une de ces personnalités d'exception. L'auteur, Bernard Legras, souligne d'emblée dans son avant-propos : ce fut une chance immense dans le malheur de la capitulation de la France de recevoir en 1872 ce jeune Agrégé strasbourgeois qui est devenu une des gloires de la Faculté de médecine de la capitale de la Lorraine. Dans cet ouvrage, il a procédé à un choix judicieux de textes écrits par des professeurs de médecine de Nancy permettant ainsi de faire revivre Bernheim par touches successives dans toute ses dimensions de médecin, de professeur, de praticien hospitalier et de grand scientifique.

Les deux premiers chapitres sont les discours de Bernheim, l'un lors de sa leçon d'ouverture en 1873, et l'autre à son jubilé en 1911. Près de quarante années séparent ces deux interventions, années de particulière fécondité. D'un côté, il donne sans se départir d'une certaine modestie ses conseils pour une pratique clinique basée sur l'observation active, l'application des méthodes scientifiques et l'expérience acquise par une longue pratique. Regardant en arrière lors de son jubilé, il retient que la clinique a été la passion dominante de sa vie de professeur. Il raconte simplement sa rencontre avec le docteur Liébeault et ses développements, l'incompréhension de l'entourage, le combat pour faire prévaloir ses travaux et ses résultats. Et de conclure, la conception de la suggestion a fait ma philosophie, sans amertume ! L'avenir, ajoute-il, est prometteur pour les futurs médecins alors que tant de miracles scientifiques s'accomplissent de nos jours, malgré les nombreux problèmes posés par la profonde transformation des sciences médicales.

Les articles des six professeurs Pierre Louyot, Jean Schmitt, Paul Simon, Pierre Kissel, Dominique Barrucand et Michel Laxenaire, présentent la biographie et l'œuvre scientifique de Bernheim dans toute son ampleur. Il en ressort un portrait vivant, très humain, petite taille, mains habiles de chirurgien, accent gardé de ses origines alsaciennes mais aussi professeur assuré, voulant enseigner et convaincre, observateur passionné au lit de ses malades menant au diagnostic rigoureux. Ils présentent l'originalité des travaux du maître, précisant l'orientation de ses recherches sur l'hypnose et la suggestion qui s'imposèrent difficilement étant donné leur nouveauté et leur spécificité. Le lecteur trouvera matière suffisante pour aborder ce sujet avec intérêt et satisfaire sa curiosité. En fin, Alexandre Klein élargit autour de Bernheim le rôle de quelques personnalités demeurées dans l'ombre du Maître, et fait sortir de l'oubli les autres artisans de cet épisode majeur de l'histoire des sciences et de l'histoire de Nancy.

Il faut savoir gré au Professeur Bernard Legras d'avoir rappelé de façon si originale et authentique le souvenir d'Hippolyte Bernheim qui contribua par son éminente personnalité à la fécondité de la période de 1871 à 1914, qui fut incontestablement la Belle Epoque de Nancy.